Qui donc connaît les flux et reflux réciproques
de l'infiniment grand et de l'infiniment petit,
le retentissement des causes dans les précipices de l'être,
et les avalanches de la création ?
(Victor Hugo, Les Misérables)

jeudi 27 mars 2014

AEIS 2014 : Systèmes stelllaires et planétaires, 2 (seconde journée)

Notes prises lors du Colloque 
organisé par 
 
La seconde journée du colloque, « Formation des systèmes stellaires et planétaires et conditions d'apparition de la vie » a été centrée sur ce dernier aspect. Ont été abordés plusieurs thèmes : Grandes époques de l'Histoire de la Terre et premières manifestations de la vie. Grandes divisions du Vivant et problématique de l'Ancêtre commun. Adaptations aux conditions extrêmes. Approches expérimentales du passage de l'Inerte au Vivant. Et d'autres points encore, comme les propriétés particulières de l'eau liquide, les processus de croissance et la genèse des formes. Dans le même esprit que le billet précédent, j'essaye d'en reprendre ici quelques éléments.



Après les étoiles puis les planètes, venons en à la Vie

 

Les grandes divisions du vivant


La compréhension du développement de la vie sur la Terre exige que l'on ait à l'esprit la vision actuelle du découpage de la diversité des êtres vivants en grands domaines. Si l'on met à part les virus, dont le statut est controversé, ces domaines sont au nombre de trois : les archées, les bactéries, et les eucaryotes. Rappelons ici quelques éléments.

Les archées et les bactéries sont des procaryotes, c.a.d. des êtres formés d'une seule cellule, sans noyau et sans organites (petites structures internes spécialisées). Les eucaryotes sont au contraire des êtres constitués d'une ou de plusieurs cellules, avec présence dans ces cellules d'un noyau et de mitochondries.

La distinction entre archées et bactéries a mis du temps à s'imposer,  elle  est encore parfois contestée. Les archées paraissent en effet par certains caractères, proches des bactéries, et par d'autres traits, proches des eucaryotes. Si bien que plusieurs scénarios évolutifs (les archées sont-elles par exemple, apparues les premières ?) ont pu être suggérés ; on peut consulter sur ses sujets un livre qui recoupe en partie le thème du séminaire : L'Univers, la Vie, l'Homme, Emergence de la conscience, Henry de Lumley Ed. CNRS Editions, 2012, notamment le chapitre 3 sur l'origine de la vie.

Lors du séminaire, la question des virus a été à peine évoquée. Ces êtres se distinguent des autres formes de vie par une double incapacité : incapacité d'échanger matière et énergie avec le milieu physique (absence de métabolisme) et incapacité de se reproduire de façon indépendante ; les virus se multiplient en utilisant les archées, bactéries, ou encore les cellules des eucaryotes : ils s'y introduisent, les détournent de leur fonctionnement premier, et les transforment en usines à virus ! Cette double incapacité les a parfois fait considérer comme non vivants, mais cette thèse est discutée. Leur place dans l'émergence de la vie et leur rôle dans l'évolution sont quoi qu'il en soit des sujets majeurs.

Un consensus sʼest établi pour considérer qu'archées, bactéries et eucaryotes ont les mêmes ancêtres. Le dernier ancêtre commun, le plus récent, juste avant la première différenciation, est appelé « LUCA »(pour: Last Universal Common Ancestor). Mais LUCA était déjà un être complexe, avec un code génétique semblable au nôtre (ouvrage cité chapitre 3, Patrick Forterre, page 88). Il était lui même issu dʼune longue lignée dʼancêtres, ayant engendré dʼautres descendants, des ramifications depuis longtemps disparues !

 L'histoire de la Terre découpée en tranches (Emmanuelle Javaux, Université de Liège)


Lorsque l'on étudie comment a pu apparaitre, puis évoluer et se diversifier, la vie sur la terre, l'une des questions immédiates est celle de savoir quand notre planète est devenue habitable et quels sont les grands évènements qui ont marqué son existence. L'exposé d'Emmanuelle Lavaux (Université de Liège) rappelle d'abord les quatre grandes périodes - on dit les quatre éons - par lesquelles on découpe, dans la vision actuelle, l'histoire de la Terre. Ce découpage en quatre périodes et les frontières dans le temps qui lui sont associées est calé sur les grandes étapes du développement de la vie, observées à travers lʼanalyse des roches et la découverte des fossiles. Sont identifiées ainsi dans l'ordre : 

  • L'Hadéen, depuis la terre une fois formée (il y a 4.56 milliards d'années) jusque vers 4 ou 3.8 milliards d'années. A la fin de cet éon, les conditions d'apparition de la vie semblent être remplies : la structure de la terre est celle que nous connaissons actuellement : un noyau, un manteau, une croûte, de l'eau liquide, une atmosphère. La découverte de (rares) roches sédimentaires datant de ces premiers âges prouvent en effet la présence d'océans. L'origine de la présence de l'eau est toujours discutée : une part de l'eau pourrait avoir été apportée par le «grand bombardement tardif», bombardement de météorites couverts de glace.
  • L'Archéen, entre la fin de l'Hadéen et 2.5 ou 2.1 milliards d'années. La fin de l'Archéen correspond aux premières découvertes de fossiles bactériens.
  • Le Protéozoique, entre la fin de l'Archéen et 0.54 milliards d'années. La fin de cette période correspond à l'âge des roches où ont été découverts les premiers fossiles d'animaux connus sous le nom de « trilobites »
  • Le Phanérozoique, éon actuel. C'est la période de l'émergence des formes de vies que nous connaissons : plantes, poissons, reptiles, mammifères. Avec le découpage auquel nous sommes familiarisés depuis notre enfance en ères primaire, secondaire, tertiaire et quaternaire.
Les trois premiers éons (Hadéen, Archéen, Prototéozoique) forment ce qu'on appelle communément le Précambrien.

Encore quelques dates repères.


Il subsiste encore de grandes incertitudes sur la date d'apparition de la vie, qui marque la transition entre l'Hadéen et l'Archéen. D'une façon certaine, il semble que la vie soit présente il y a 3.5 milliards d'années, même si certains articles mentionnent une présence plus précoce (3.7 millions d'années plus tôt pour Van Zuilen & al. 2002, voir aussi Schopf & al. 2002, Derenne & al. 2008).

Les premières traces consistent en des roches spécifiques, appelées stromatolithes, que lʼon a pu dater. On a de fortes raisons de penser - du fait de leur ressemblance avec des formations contemporaines - que ces roches très anciennes ont été construites par des communautés bactériennes. Il existe en effet, dans un certain nombre de lieux particuliers (la baie Shark sur le littoral ouest de lʼAustralie par exemple), des roches de structures similaires mais à lʼétat actif, clairement biogéniques, c.a.d. en cours de construction par des organismes vivants, en autres des cyanobactéries.

Dans ces premiers indices de vie, ce ne sont pas des fossiles d'organismes vivants qui sont observés, mais seulement leurs constructions « macroscopiques » fossilisées. Les premiers réels micro-fossiles de bactéries actuellement identifiés remontent à 2.1 milliards d'années. Leur découverte marque la transition entre l'Archéen et le Protéozoique. Ces bactéries sont à l'origine de l'oxygène libre de notre atmosphère qui sʼest donc « oxygénée » à cette époque. 

Les premiers eucaryotes fossiles découverts datent quant à eux d'il y 1.5 milliards d'années (voire 1.8 selon certains travaux). Mais cette date d'apparition des premiers eucaryotes - et de leur type d'organisation mono ou pluri-cellulaire, est encore discutée. Elle pourrait être plus ancienne, autour d'il y a 2 milliards dʼannées voire davantage. Retenons que cette époque paraît être le début d'un développement accéléré de la vie.

 La vie, une « dure à cuire » ? (Bruno Franzetti, Université de Grenoble


La manière d'aborder la question de l'émergence de la vie dans les conditions de la Terre primitive - et celle de la vie sur d'autres planètes - a été bouleversée par la découverte de formes de vie dans des milieux où l'on pensait qu'elle était impossible. Une grande attention a été portée à ces « extrêmophiles » - essentiellement, mais pas exclusivement, des archées et des bactéries - adaptés aux milieux extrêmes par leurs conditions de température, de pression, de salinité. L'expression « milieux extrêmes » est très anthropomorphique : ils sont normaux pour les espèces en cause !

La première idée qui vient à l'esprit est celle çi : les conditions primitives de la Terre étant « extrêmes » (pour nous humains et les animaux qui nous entourent), ces extrêmophiles seraient eux mêmes de bons représentants des formes de vie primitive. Il semble bien qu'il n'en soit rien. Ce sont des êtres « évolués », complexes, très performants dans leur adaptation à ces milieux. Les études les concernant portent précisément sur ce qui préside à leurs performances, savoir leur organisation et leur métabolisme (le mode de fonctionnement dans les échanges avec l'environnement) ; en résumé : qu'est-ce qui les rend si adaptés ? comment relèvent-ils le défi ? Elles portent aussi sur la manière dont ces principes se sont mis en place au cours de l'Evolution, et à partir de quelles espèces à l'origine ; autrement dit, en résumé : comment et quand se sont-ils adaptés ?

Au delà de cette première constatation - ce ne sont pas des fossiles vivants - plusieurs points doivent être soulignés à leur propos :
  • Ils ne sont pas une composante marginale de la vie sur la Terre. 
  • Ils présentent une très grande diversité. 
  • Ils jouent un rôle important dans les grands cycles géo-chimiques (en particulier les archées vivant en profondeur dans les océans).
et finalement : 
  • Il n'existe que très peu d'environnements stériles sur la terre ! 
  • Les contraintes des «milieux extrêmes» ne sont pas insurmontables. 
  • La vie s'installe et résiste au froid, aux hautes pressions, aux fortes salinités, et de plus, s'adapte aux variations importantes, lesquelles sont souvent la marque des milieux concernés.
La limite des hautes pressions est d'environ 250 bars. Les limites de température - telles que constatées actuellement - sont 121° C du côté du chaud, et moins 20° C du côté du froid. C'est bien du côté du froid qu'il apparaît plus difficile de s'adapter. L'adaptation aux hautes températures pourrait être la plus ancienne et fournir un modèle des formes de vie primitives, la résistance à la salinité étant au contraire une adaptation moderne.

Approcher expérimentalement le passage de l'inerte au vivant.


Il apparaît donc bien que les conditions régnant dans le milieu interstellaire, puis dans les disques proto-planétaires, permettent l'apparition de molécules organiques. L'analyse chimique de fragments de météorites vient confirmer cette conclusion (cf exposé de Sylvie Derenne sur la matière organique insoluble de la météorite de Murchison, tombée en 1969 à 100 km au nord de Melbourne, en Australie).

Mais la compréhension fine des processus en oeuvre passe par leur reproduction en laboratoire. Un expérience souvent citée, dont je me souvenais car elle s'est passée du temps de mon adolescence, est celle de Miller-Urey, en 1953. Cette expérience testait la possibilité de production de molécules organiques complexes dans une atmosphère supposée - à l'époque - être celle de la terre primitive. Un mélange d'ammoniaque, de méthane, d'hydrogène moléculaire et de vapeur d'eau, soumis pendant une semaine à des décharges électriques simulant des éclairs, produisait un nombre important de composés organiques (des acides aminés, des sucres, des lipides, des fragments d'acides nucléiques).

Les exposés de Rafaele Saladino (Université de la Tuscia, Viterbo, Italie), dʼErnesto Di Mauro (Université Sapienza, Rome), et en partie celui de Sylvie Derenne, se situent dans le cadre de telles approches expérimentales. R. Saladino a montré ainsi comment la chimie de la formamide (HCONH2) - en présence de matériaux minéraux servant de catalyseurs- aboutissait, je cite, à « la synthèse de plusieurs éléments intermédiaires de lʼappareil autant génétique que métabolique » ; il soulignait ainsi la capacité, pour ces systèmes, de fournir les bases moléculaires de l'origine de la vie. Ernesto Di Mauro soutient la même orientation. Il défend l'idée - si j'ai bien compris - que les éléments chimiques proto-métaboliques (conduisant aux protéines) et proto-génétiques (conduisant aux acides nucléiques, à lʼARN et à lʼADN), ont été produits en même temps pour constituer la première génération des systèmes débouchant sur la vie

Dʼautres exposés ont concerné des thèmes telles que les particularités de l'eau liquide. (exposé de Guiseppe Zaccai, Institut de biologie structurale, Grenoble). L'eau n'est pas en effet un liquide simple. La « danse de l'eau » - c.a.d. les ruptures et recombinaisons permanentes de liens entre les molécules H2O au sein du liquide - est à la base de l'effet « hydrophobe » : « les molécules d'autres éléments chimiques qui ne peuvent pas danser avec l'eau chercheront à l'éviter et à se regrouper ensemble », favorisant par là des réactions chimiques spécifiques. Un dernier exposé s'est centré sur les mathématiques permettant de représenter les contraintes opérant sur les processus de croissance et expliquer par là les formes spatiales des tissus et des organes vivants (exposé de Martine Ben Amar, ENS).

Pour conclure.


Je résumerai le sentiment qui se dégage pour moi de ce séminaire par les points suivants (en rappelant que le terme de précurseur employé désigne ici les molécules organiques évoquées antérieurement dans ce texte) :
  • les précurseurs des composants du vivant (composants que sont les protéines, les acides nucléiques) sont finalement « faciles à obtenir », et se rencontrent de fait aussi bien dans le milieu interstellaire que dans les systèmes planétaires. 
  • La présence de ces nombreux précurseurs va certes dans le sens d'une plus grande complexité. Mais elle relève plus d'un foisonnement aléatoire que d'une tendance nette dans une direction identifiable (Sylvie Derenne parle, à propos des molécules organiques identifiées dans les météorites, d'une biologie, d'une chimie - aléatoire ...)
  • Le comment du passage de ces précurseurs à la vie installée reste inconnu.
  • La facilité d'apparition des précurseurs, jointe à la facilité avec laquelle la vie a conquis pratiquement tous les milieux existants sur la Terre, peut faire penser que cette apparition est inéluctable. Ce serait une manifestation obligatoire des propriétés combinatoires de la matière (un conférencier, citant Christian de Duve 1990).
Les deux derniers points ont été au centre de la table ronde, à laquelle participait le philosophe des sciences canadien Christophe Malaterre, Université de Montréal. Plusieurs questions émergent de la discussion :
  • Puisque l'on parle de « passage », comment caractérise t-on le point d'arrivée. A savoir, dans le cas présent, quelles définitions donne-t-on de la vie ? Par exemple, a été citée une définition du bio-physicien Edward Trifonov, « la vie comme capacité d'un système de s'auto-reproduire avec variations ». Mais faut-il se polariser sur les définitions ? Chercher à définir le point d'arrivée, avant d'avoir observé et compris le comment du passage, n'est-ce pas une perte de temps ?
  • Si à l'inverse l'attention se porte, non pas sur le point d'arrivée, mais sur le passage lui même, peut-on en caractériser dès à présent la nature ? Un des participants à la table ronde le voit comme un changement de phase, expression dont on sait la signification précise en physique : un basculement brusque d'un état d'organisation de la matière à un autre état d'organisation, plus stable. Cette vision rejoint ainsi le caractère « obligatoire » de l'apparition de la vie évoquée par le conférencier. Elle est par ailleurs reliée à une conception du passage du « rien » au « quelque chose », comme avec Victor Stenger cité avant la table ronde, ayant écrit (je cite de mémoire) « Something com from Nothing, but is more stable than Nothing ».
  • A quelle vitesse peut-on avancer dans la solution de ces grandes questions ? Là encore, plusieurs opinions ont cours : pour les uns, l'échelle de temps est celle d'une décennie : ils estiment que des avancées majeures se produiront - pendant cette période de temps - dans les laboratoires travaillant sur les processus d'émergence de la vie. Cette rapidité s'accorde avec la conception d'une émergence conçue comme un changement de phase, qui se produit dans un délai court et nécessairement dès lors que les conditions sont réunies. D'autres, au contraire, voient un terme beaucoup plus lointain et incertain. Ceux là s'inscrivent dans une vision de l'apparition de la vie comme résultat d'une histoire longue, aléatoire, non prévisible tant que non survenue.
Pierre Joliot-Curie, lors de la clôture du congrès, exprimera je crois un sentiment partagé par tous les participants : la recherche de l'origine de la vie sur la Terre et de sa présence dans les autres systèmes planétaires est une aventure majeure, que l'humanité se doit de poursuivre au cours du XXI siècle, en s'y investissant le plus et le mieux possible.

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