Qui donc connaît les flux et reflux réciproques
de l'infiniment grand et de l'infiniment petit,
le retentissement des causes dans les précipices de l'être,
et les avalanches de la création ?
(Victor Hugo, Les Misérables)

mercredi 26 mars 2014

AEIS 2014 : Systèmes stellaires et planétaires, 1 (première journée)

Notes prises lors du Colloque 
organisé par 


J’ai eu la chance de pouvoir assister les 5 et 6 février 2014, à un séminaire sur la formation des systèmes stellaires et planétaires, et les conditions d’apparition de la vie. Ce séminaire s'est déroulé à l’Institut Henri Poincaré, haut lieu des mathématiques françaises, et mondiales... Il était organisé par une association nommée «Académie européenne interdisciplinaire des sciences», association qui organise tous les deux ans, sur des thèmes impliquant l’interdisciplinarité, de chouettes conférences. Le public était mi-professionnel mi-grand public, ce qui est une configuration intéressante. Les exposés seront peut-être mis en ligne, je l’espère. J'en résume ici quelques points, sans être le moins du monde complet, en insistant sur ceux qui m’ont particulièrement frappé, et bien sûr sans certifier une totale exactitude dans la reprise des propos des conférenciers.

   
                

Première journée : Petit atome dans mon doigt, d’où viens tu ?

 

La naissance des éléments chimiques (Nicolas Prantzos, IAP) 


Les atomes qui composent notre corps viennent des tout premiers instants de la vie de l’univers - pour les éléments les plus légers, hydrogène, deutérium - puis, pour les éléments plus lourds, de l’intérieur des étoiles qui les ont fabriqués, et qui, à la fin de leur vie, ont enrichi le gaz interstellaire en explosant. Notre système solaire, avec ses planètes et nous mêmes, sommes le résultat de ce processus. Plusieurs points sont acquis :
  • nous connaissons les « abondances » - autrement dit les proportions - des différents éléments chimiques présents dans l’univers actuel, et en particulier celles des éléments présents dans les êtres vivants : hydrogène, carbone, azote, oxygène, soufre, etc... 
  • nous sommes capables d’expliquer ces abondances à partir de la démographie des étoiles : combien d’étoiles sont-elles nées chaque année depuis le tout début, combien pesaient-elles, combien de temps ont-elles vécu. Autrement dit quelles masses des différentes espèces d’éléments ont-elles été éjectées par les étoiles mourantes pendant ces différentes périodes de temps ? Un calcul simple me direz vous ! Mais la quantité et la composition du gaz éjecté par l’étoile en cause dépendent de sa masse ; sa durée de vie en dépend également : les étoiles massives se consument très rapidement, 100 millions d’années et c’est déjà la fin. De plus toutes les étoiles ne naissent pas avec la même masse : existe chez elles une grande inégalité : beaucoup naissent petites ou moyennes (comme notre soleil) d’autres huit fois, dix fois, cent fois plus massives.  Il faut donc avoir une bonne idée sur tous ces points.

la démographie des étoiles : trois étoiles par an ? (Patrick Hennebelle, Lerma)


Il est difficile de fabriquer des étoiles ! Elles se forment  par « effondrement gravitationnel » : à partir des nuages de gaz qui deviennent de plus en plus denses et chauds, et finissent par allumer les réactions de fusion nucléaires en leur centre. Si ne jouait que cet unique processus, le nombre d’étoiles qui naitraient en un an dans notre galaxie serait de 300 environ (sur cent milliards !), c’est-à-dire très peu !

D’autres phénomènes viennent encore ralentir ce rythme en freinant l’effondrement. En fin de compte, dans notre galaxie, on estime à trois seulement le nombre annuel de nouvelles nées ! Les causes de ce « déficit » sont comprises dans leur principe, mais dans le détail (poids respectifs des différents facteurs de freinage) il reste encore beaucoup à élucider. La « profusion de processus physiques » en oeuvre nécessite la mobilisation conjointe de plusieurs spécialités scientifiques, autour de domaines tels que la mécanique bien sûr (les lois de la gravité), mais aussi le rayonnement, la thermodynamique, la turbulence. Le «feedback», c’est-à-dire l’effet en retour des explosions d’étoiles en fin de vie sur le milieu interstellaire, semble jouer un rôle (de frein) important. En quelque sorte une «autorégulation» de la démographie des étoiles ! 
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La diversité des systèmes planétaires (Alessandro Morbidelli, Observatoire de Nice)


Pour avancer, il faut comprendre comment naissent les systèmes planétaires, simultanément à l’allumage des étoiles qui leur servent de Soleil.

Ils se forment dans le coeur dense du nuage à l’origine de l’étoile. A ce stade, les lois de la mécanique impliquent que ce coeur prenne la forme d’un disque en rotation. Ce disque est composé de gaz bien sûr, mais aussi de poussières - déjà présentes elles aussi dans le milieu interstellaire. Vont se former alors, au sein du disque, des noyaux qui agrègent ou « ramassent » peu à peu la matière de leur voisinage et deviennent des planètes. Ici encore une diversité de processus intervient. Les grosses planètes gazeuses se forment à grande distance de l’étoile, par agrégation des gaz autour de noyaux de glace. Les petites planètes dites «telluriques», composées de roches, se forment à courte distance par agrégation des poussières.

Il s’en suit que les divers systèmes planétaires devraient se ressembler plus ou moins. Or il n’en est rien ; interviennent en fait deux phénomènes, à l’origine d’une grande diversité dans leurs résultats. Ces deux phénomènes sont la migration et  l’instabilité planétaires.

  • La migration est une interaction entre la planète gazeuse déjà formée et ce qui reste du disque : la planète se trouve freinée dans sa course par le disque et donc chute progressivement vers l’étoile, jusqu’à se stabiliser sur une orbite basse, pouvant être très proche de l’étoile. D’où le nom donné à ces planètes, des «Jupiters chauds», Jupiters pour être grosses et gazeuses - plus massives même que notre Jupiter - et chauds de par leur position.
  • L’instabilité est propre au système dynamique que forme l’ensemble des objets présents, disque mais surtout  planètes déjà formées : ce système peut sembler stable, mais en fait il évolue lentement et peut brusquement «bifurquer» - se déstabiliser brutalement - et se stabiliser à nouveau provisoirement dans une configuration bien différente. C’est un phénomène bien connu des spécialistes des systèmes dynamiques, et le conférencier a ainsi pu parler à son propos de «puissance du chaos»

La conjugaison de ces deux phénomènes permet de rendre compte de la variété des configurations de systèmes planétaires jusqu’ici observés, plus de 1000 : diversité dans les positions des planètes gazeuses, dans l’inclinaison des orbites les unes par rapport aux autres au sein d’un même système, dans l’excentricité de ces mêmes orbites (c'est à dire leur forme plus ou moins allongée).

Notre système solaire, une exception ? (Giovanna Tinetti, University College)


Notre système solaire, avec ses planètes gazeuses externes, ses orbites presque toutes dans le même plan et quasi circulaires (sauf pour les comètes !) paraît faire exception dans l’ensemble des systèmes planétaires actuellement connus. Les attentes en ce domaine - espoir de trouver rapidement des systèmes semblables au nôtre - sont « complètement balayées » ! Il faut sans doute ne pas être trop hâtif : la puissance d’observation des instruments est limitée ; elle sélectionne de fait certains systèmes et en élimine d’autres. Attendons l’avenir. Mais que s’est-il produit pour que notre système solaire soit si particulier ?

Un évènement semble l'avoir affecté, voici environ 4 milliards d’années - soit 500 millions d’années après ses débuts. Cet évènement expliquerait la configuration actuelle : les caractéristiques des orbites de Jupiter, Uranus, et Neptune, la petitesse en masse de la planète Mars (un dixième seulement de la masse de la terre), la ceinture d’astéroïdes, et les traces d’un « grand bombardement tardif » dont la Lune - avec la multitude de ses cratères - nous donne chaque mois une image.

Il s’agirait d’une bifurcation survenue dans l’évolution du système, laquelle aurait arrêté la migration de Jupiter vers le centre et aurait renvoyé cette planète et ses consoeurs (Saturne, Uranus, Neptune) plus loin vers l’extérieur. Des simulations sur ordinateur, intégrant ce que l’on connaît de la situation initiale et les différentes interactions en jeu, permettent de s’assurer de la possibilité de telles modifications brutales. Plusieurs articles sont parus sur ce sujet, voir par exemple Morbidelli & Crida 2007, Morbidelli, Tsiganis & al 2007, Walsh, Morbidelli & al. 2011, Levison, Morbidelli & al. 2011

A partir de ce scénario, il faut entrer dans le détail et tenter d’expliquer pourquoi les trois planètes Vénus, Terre et Mars sont si différentes, alors qu’elles se situaient au départ dans des conditions relativement similaires (exposé de Thérèse Encrenaz, Observatoire de Meudon).
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Une typologie (provisoire?)  des systèmes planétaires


Les systèmes sont fortement déterminés par la présence et les orbites des planètes géantes. Ces dernières, du fait de  leurs grandes masses en effet, ont un impact important sur les champs de gravité et leur dynamique. Aussi quatre grandes classes de systèmes apparaissent-elles pour l’instant :

  • Systèmes de planètes géantes semblables au nôtre
  • Systèmes dans lesquels les planètes géantes, ayant migré à travers la «zone habitable», ont quasiment tout ramassé : trop peu de matière reste alors dans cette zone habitable pour former des terres. 
  • Systèmes où les planètes géantes ont une grande excentricité (quasi cométaire ?) : tantôt elles se trouvent très près de l’étoile, tantôt très loin, passant au delà de la zone habitable ; même conséquence : pas de terres !
  • Systèmes n’ayant pas de planètes géantes

Il en ressort que la proportion de systèmes planétaires ayant des planètes de type « terre habitable » est peut être assez faible. De la résulte la proposition du conférencier : «Probablement la plupart des planètes habitables sont « exotiques ». sous-entendu, ne ressemblent pas à notre Terre, par exemple des lunes de planètes gazeuses, comme Europe (satellite de Jupiter) ou Titan (satellite de Saturne)

Peut on détecter la vie sur les planètes extra-solaires ?


Pour pouvoir détecter des traces de vie - sous forme d’une certaine « bio-signature » dans l’atmosphère de la planète : présence d’oxygène, de molécules organiques - il faut pouvoir disposer d’observations spectroscopiques. Actuellement, sur les mille planètes découvertes, 200 ont pu être observées spectroscopiquement. Mais - si j’ai bien compris - les abondances supposées des molécules recherchées - si elles sont présentes - sont trois fois plus faibles que ce que les instruments actuels sont capables d’observer ; on est donc au dessous du seuil. Les progrès instrumentaux permettent cependant d’espérer la possibilité effective de conclure sur la présence de bio-signatures dans une deuxième génération de missions spatiales.

Rappelons à ce sujet que la distance à laquelle nous sommes actuellement capables de détecter des planètes, par toutes les méthodes disponibles, est de 600 parsecs (le parsec est la distance à laquelle un observateur voit la distance entre la terre et le soleil - 150 millions de km - sous un angle d’une seconde d’angle, un 3600 tième de degré). Cette distance de 600 pc délimite dans l’espace une sphère allant déjà largement au delà du voisinage immédiat de notre système solaire.

Abondance comparée des éléments dans l’univers et dans la chimie du vivant.


La chimie du vivant mobilise - dans les protéines, l’ARN et l’ADN - un petit nombre d’éléments, savoir l’hydrogène (H), l’oxygène (O), le carbone (C), l’azote (N), le soufre (S), le phosphore (P). Ces éléments sont parmi les plus abondants dans l’univers. Rappelons cet ordre d’abondance : vient l’hydrogène (74%), puis l’hélium (24%), et ensuite justement l’oxygène (1%), le carbone (0.5%), suivi par le néon, le fer, l’azote (0.1%), le silicium (0.07%), le magnésium (0.06%), le soufre (0.04%) le sodium, le phosphore, l’argon, le calcium. On trouve ensuite un paquet comprenant l’aluminium, le sodium, le chlore, le potassium et dans un autre registre, le nickel, le chrome, le manganèse, le titane, le cobalt, le zinc et le cuivre. (cf. Wikipédia, sur « Abondance des éléments chimiques »). Il est clair que ces abondances, couplées avec les potentialités des éléments - l’argon par exemple, gaz «neutre», ne peut intervenir chimiquement - constituent des contraintes fortes de toute chimie complexe dans l’univers: il n’est pas très étonnant de retrouver les éléments de la vie, H,O,C,N,S,P dans le peloton de tête !

La chimie du milieu interstellaire (le «MIS») : plus de 200 molécules identifiées ! (Louis le Sergeant d’Hendecourt, IAS)


Une discipline, l’astrochimie, s’efforce d’identifier les molécules présentes et les réactions  chimiques en oeuvre dans dans le milieu interstellaire. Elle a abouti à la découverte de plus de 200 molécules. Une base de données répertorie et met constamment à jour l’ensemble de ces molécules, c’est la « Cologne Database for Molecular Spectroscopy » (CDMS). Deux composantes du MIS sont à distinguer :

  • En premier lieu, les gaz, autrement dit « la phase gazeuse » On y trouve effectivement des molécules constituées de 2, 3, 4, ... 10 atomes et plus, l’abondance étant en gros divisée par 10 à chaque ajout d’un atome supplémentaire. Comme exemples :  une molécule à deux atomes, le monoxyde de carbone CO ; à trois atomes l’eau ; à 10 atomes l’acétone (cf. Wikipédia, sur « Liste des molécules détectées dans le milieu interstellaire »). Mais la complexité de la chimie en phase gazeuse est très limitée, les conditions ne sont pas remplies pour des réactions ou chaînes de réactions, capables de produire de très grosses molécules.
  • En second lieu, les glaces à la surface des grains de poussières. Dans le milieu interstellaire, les molécules telles que celles de l’eau (H2O), de l’ammoniaque (NH3), du méthane (CH4) une fois produites, forment des glaces qui constituent la phase moléculaire la plus abondante.  Ces glaces s’agrègent aux grains de poussières (formés de silicates + ... , le silicium, après le fer, étant lui aussi dans le peloton de tête). C’est dans ces glaces, et à la surface des grains de poussière, qu’ont lieu des réactions chimiques plus complexes, à même de produire des molécules organiques voire des acides aminés.

La chimie des systèmes planétaires en formation hérite-t-elle de celle du MIS ? (Thérèse Encrenaz, Observatoire de Meudon et Valentine Wakelam, Université de Bordeaux)


Le milieu interstellaire, constitué de nuages formés d’un mélange de gaz et de poussières, est donc en fin de compte le lieu de nombreuses réactions chimiques aboutissant à des molécules complexes, dont certaines font partie de ce qu’on appelle les « briques de la vie ». Mais ces molécules vont-elles subsister lors de la contraction des nuages aboutissant à la naissance des étoiles et à la formation de leur cortège de planètes ?  Autrement dit, vont-elles survivre au traumatisme que constitue l’augmentation de température, de pression, d’exposition au rayonnement de la nouvelle étoile résultant de cette contraction ? Autrement dit encore, quel est l’héritage dans le « disque proto-planétaire », au sein duquel vont se former les planètes, de la chimie des étapes antérieures.

Il faut avoir à l’esprit, dans tous ces processus, l’énorme variété des conditions de densité et de température en jeu, depuis le milieu interstellaire « presque vide » - 10 particules seulement par cm3 - jusqu’aux nuages denses - 1000 milliards de particules par cm3 - et encore au delà dans les disques proto-planétaires.

Quoi qu’il en soit, le support de la chimie au sein du disque proto-planétaire est toujours constitué de grains de poussières (silicates) recouverts d’un «manteau glacé» d’eau, de monoxyde de carbone, de gaz carbonique et autres composants. Bien entendu, la taille et la composition exactes du noyau de ces grains et de son manteau glacé dépendent de la distance à l’étoile en formation. Il existe ainsi une « ligne de glace » : en de ça de cette ligne, en direction de l’étoile, la température est trop élevée, les éléments volatiles telle que l’eau sont absents (à l’état solide). Dans le système solaire, la ligne de glace passe entre Mars et Jupiter.

La dynamique chimique en équation. 


Des modèles de la dynamique chimique au sein du disque ont pu ainsi être construits. Ils permettent d’approcher quelles peuvent être les différentes espèces chimiques présentes à chaque endroit du disque aux différents moments de son évolution. Ces modèles prennent la forme d’équations différentielles, bien connues en dynamique des populations, avec des termes de production et de destruction. Elles prédisent le destin de quelques 600 espèces chimiques, en mobilisant de l’ordre de 6000 réactions. La visualisation qui nous a été présentée est très spectaculaire. On peut voir par exemple l’évolution du disque vue à travers la présence - différenciée selon la distance à l’étoile - du méthane ou de telle molécule organique. A noter que les dynamiques en oeuvre sont toujours « hors équilibre » : elles n’atteignent jamais une configuration stable qui serait la configuration d’équilibre du système d’équations. Une base de données a été élaborée à l’Université de Bordeaux pour dresser et maintenir à jour un tableau des réactions chimiques étudiées ; cette base a pour nom KIDA, Kinetic Database for Astrochemistry.

En fin de compte, comme résultats et si j’ai bien compris, il n’y a pas au bout de l’histoire de modification majeure de la composition en espèces chimiques, telle qu’observée dans le milieu interstellaire : près de la moitié des espèces présentes initialement survivent selon ces modèles et vont se retrouver dans les comètes....

Prochain billet, seconde journée du colloque, 

centrée sur les conditions d'apparition de la vie

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