Qui donc connaît les flux et reflux réciproques
de l'infiniment grand et de l'infiniment petit,
le retentissement des causes dans les précipices de l'être,
et les avalanches de la création ?
(Victor Hugo, Les Misérables)

jeudi 1 mai 2014

Formation des grandes structures de l'Univers. Introduction aux instabilités gravitationnelles, II

Ce billet est le second d'une série consacrée au développement des instabilités gravitationnelles, dans le contexte cosmologique de la formation des grandes structures de l'Univers. Le premier billet traitait - à titre de point de départ - d'une version simplifiée de la dynamique spatialisée d'un fluide compressible soumis aux seules forces de pression ; dans le second billet, mon intention était primitivement d'introduire l'élément majeur que sont les forces de gravité ; puis à partir de là, de placer ce fluide et sa dynamique dans un espace en expansion. 

A la réflexion, j'éprouve le besoin d'assurer davantage mes arrières dans l'exploration entreprise, avec  plusieurs motivations : mieux éclairer la structure et le sens des équations concernées ; préciser les liens avec la thermodynamique et la théorie des ondes sonores. Très vite en effet apparaissent des considérations sur le caractère adiabatique ou isotherme des transformations du fluide, ainsi que sur le rôle de la vitesse du son...



Retour sur les équations 


Reprenons donc les équations présentées à la fin du billet précédent, après en avoir transformé légèrement l'écriture :  

Cette réécriture fait apparaître l'identité de structure des parties gauches des équations. Dans les trois cas, la partie gauche se décompose en une somme de deux termes :
  • une mesure de la rapidité avec laquelle la grandeur concernée (densité, vitesse ou pression) varie dans le temps sur une position spatiale r donnée 
  • une mesure de la rapidité avec laquelle la même grandeur (densité, vitesse ou pression) varie dans l'espace, lorsque l'on se déplace, à partir de cette position r, dans la direction de la vitesse, autrement dit lorsqu'on suit (avec cette vitesse) la direction du courant. 

Approches eulériennes et lagrangiennes


Ces équations, rappelons le, sont attachées à chaque position de l'espace. On dit que ces équations ressortent d'une approche eulérienne, consistant à regarder l'évolution des choses en des lieux fixés. Adoptons maintenant une autre approche, dite " lagrangienne " du nom du mathématicien italien Joseph Louis Lagrange. Cette approche consiste au contraire à suivre les particules de fluide - et les grandeurs qui y sont liées - au cours de leur déplacement. Pour prendre une image, le point de vue eulérien est celui d'un bulletin météo donnant l'évolution du temps, heure par heure, dans les principales villes de France. Le point de vue lagrangien est celui d'un automobiliste qui anticipe à partir de ce bulletin, le temps qu'il rencontrera dans les villes qu'il va traverser, au moment où il les traversera. On conçoit que ce que va vivre cet automobiliste est une combinaison des évolutions temporelles en chaque lieu et des différences d'un lieu à l'autre. 
Adoptons cette nouvelle approche. Délimitons à cet effet un petit élément de fluide, de masse fixée m pour le suivre dans son parcours. Le problème est maintenant d'évaluer la rapidité avec laquelle se modifient lors de ce parcours les trois grandeurs - densité, vitesse et pression - de cette petite masse de fluide. 

Cette rapidité " lagrangienne " - observée donc non plus sur un lieu fixe mais sur la masse de fluide en mouvement, est notée Df/Dt, f étant ici l'une des trois grandeurs considérées. Prenons par exemple la densité et simplifions le raisonnement en prenant deux cas de figure théoriques opposés.

  • Premier cas de figure : la petite masse de fluide reste immobile. La rapidité avec laquelle sa
    densité évolue sera alors tout simplement celle en oeuvre sur le lieu où elle se trouve.  Ce qui s'écrira  :

  • Second cas de figure : la petite masse de fluide se déplace dans un champ où les densités diffèrent selon le lieu, mais sur chaque lieu restent constantes dans le temps. La rapidité avec laquelle sa densité évolue dépend alors uniquement de l'importance de ces différences spatiales, et de la vitesse de déplacement. Ce qui s'écrira : 

  • Le cas général est de fait la situation courante. Un raisonnement différentiel montre que la rapidité à laquelle la densité de la petite masse de fluide en mouvement se modifie est alors la somme des deux effets - temporels et spatiaux - précédents. Ce qui s'écrira : 
     On reconnait dans la dernière formule la partie gauche de l'équation de continuité.  Il en sera de même pour les deux autres grandeurs, le raisonnement étant identique. En définitive la formulation lagrangienne des équations contrôlant la dynamique des grandeurs attachées à une petite masse de fluide (rigoureusement une masse " infinitésimale ") présente sur une position r à l'instant t, s'écrira : 


     

    Considérations thermodynamiques      


    Rapprochons, dans les équations sous leur forme lagrangienne, la dynamique des densités et de celle des pressions. Ce rapprochement aboutit à une relation entre densité et pression maintenue tout au long du parcours de la petite masse de fluide suivie. On obtient en effet, dans une manipulation simple :
    Le rapport entre la pression et la densité élevée à la puissance gamma reste donc constant. 

    Loi de Laplace


    Cette relation entre pression et densité est connue en thermodynamique sous le nom de loi de Laplace. Par delà le calcul mathématique, elle est la conséquence des hypothèses physiques ayant conduit aux équations de la dynamique du fluide ; savoir :
    • chaque petite masse de fluide se comporte à tout instant comme un gaz parfait, avec une pression, une densité, une température, une énergie interne par unité de masse, bien définies : les transformations qu'elle subit forment une succession continue d'états d'équilibre thermodynamique ; ce sont donc des transformations réversibles.
    • l'énergie interne acquise (ou perdue) par chacune de ces petites masses pendant un temps Dt a pour seule origine le travail que le reste du fluide a exercé sur elle en la comprimant (ou le travail qu'elle a exercé sur le reste du fluide en se dilatant). Aucun transfert de chaleur n'intervient. Ce sont des transformations adiabatiques.

    La combinaison du lien pression densité avec l'équation d'état des gaz parfaits associant pression, densité et température donne deux relations supplémentaires : 


    Le paramètre gamma est appelé, pour des raisons expliquées plus loin, exposant (ou indice) isentropique. C'est une notation condensée pour un rapport mobilisant le nombre de degrés de libertés (ci contre noté v) des particules du fluide, dont j'ai rappelé le sens dans le premier billet. Il est donc supérieur à 1 : pression, densité et température varient dans le même sens.

     Le nombre de degrés de liberté détermine comment un apport ou une perte d'énergie se répartit entre les deux composantes de l'énergie interne : la composante relevant de l'agitation thermique, fixant la température, et la composante relevant de mouvements internes à chaque particule. Lorsque le nombre de degrés de liberté devient de plus en plus grand (gamma se rapprochant alors de 1), la part revenant à l'agitation thermique - et donc la variation de température - devient de plus en plus faible : on se rapproche alors d'une dynamique isotherme.

    Entropie


    Les relations précédentes équivalent à des relations de conservation : le long du parcours des petites masses de fluide en effet, la valeur d'une grandeur physique, savoir l'entropie par unité de masse, reste inchangée. On vérifie mathématiquement cette équivalence à partir de l'expression de la variation de cette entropie, ci contre notée ds, dans une transformation réversible. Cette variation dépend de celle de l'énergie interne par unité de masse (du), du travail lié à la variation de volume (pdV) et de la température T. L'application des équations d'états des gaz parfaits puis de la loi de Laplace conduit bien à une variation nulle.

    Réversibilité et irréversibilité

     

    La manipulation mathématique précédente traduit, ici encore, une loi physique générale : 
    • une transformation réversible conserve l'entropie globale, somme de l'entropie du système étudié et de celle du reste du monde (" l'extérieur ").
    • une transformation réversible et adiabatique - i.e. sans échange de chaleur entre le système étudié et l'extérieur - conserve l'entropie de chaque partie. 
    J'ai dans ce qui précède utilisé la notion de transformation réversible sans en donner la définition. Je l'ai simplement assimilée à celle de transformation quasi-statique ; savoir une succession continue d'états d'équilibre thermodynamique, dans laquelle les variables pression, densité, température, énergie interne évoluent " lentement " en restant liées constamment par les équations d'état. Plus fondamentalement une transformation - un processus, une dynamique - réversible est une transformation qui peut se dérouler dans l'autre sens sans contrevenir à aucune loi physique. 

    Ces notions de réversibilité et corrélativement d'irréversibilité sont très importantes en physique. Leur compréhension profonde mobilise la distinction entre une vision microscopique des phénomènes - par exemple ce qui se passe au niveau d'une molécule du gaz - et une vision macroscopique - ce qui se passe au niveau du volume du gaz étudié.

    On sait qu'elles sont en rapport avec la dynamique de l'entropie. Lorsqu'on s'en tient à la vision macroscopique, selon le second principe de la thermodynamique, toute transformation réelle voit l'entropie globale augmenter. Une telle transformation est donc irréversible, puisqu'en sens contraire elle contreviendrait au second principe. L'importance de l'augmentation mesure en quelque sorte le degré d'irréversibilité. La réversibilité apparait comme un cas limite, un modèle théorique utile, où l'augmentation de l'entropie, très faible, peut être considérée comme nulle. 

    Equations du fluide et flèche du temps


    Avec les hypothèses adoptées - gaz parfait, transformations réversibles et adiabatiques -  chaque petite masse de fluide conserve son entropie. Il s'en suit que l'entropie totale du fluide, somme de ces entropies élémentaires, reste elle aussi constante : la dynamique d'ensemble du fluide est donc réversible ; les équations qui contrôlent cette dynamique doivent refléter mathématiquement cette propriété. 

    C'est bien ce que l'on constate : les équations qui rendent compte de ce qu'on verrait " en passant le film à l'envers " s'obtiennent  par une réécriture où la variable temps passe de t à - t - puisqu'on recule dans le temps - Dans cette réécriture la vitesse change également de signe - les petites masses de fluide évoluent dans l'autre sens - Par contre l'accélération, et les grandeurs pression, densité, énergie interne, restent inchangées. La réécriture redonne alors in fine des équations ayant strictement la même forme que celles du départ ; on dit que ces équations sont invariantes par inversion de la flèche du temps, ce qui est bien la marque d'une dynamique réversible. Bien entendu l'introduction phénomènes tels que la viscosité, ou des échanges thermiques réalistes, supprimerait d'emblée cette réversibilité.
     

                                                           Ondes sonores


    Dans le fluide considéré ici, les seules forces en oeuvre sont les forces de pression internes, autrement dit des forces de contact : il n'y a pas - pour le moment - de forces agissant à distance, telle que la gravitation. Si une petite perturbation occasionnelle du fluide, initialement homogène et au repos, intervient,  la dynamique alors engendrée prend la forme d'une onde sonore, se propageant de proche en proche. L'étude en première approximation de ces ondes acoustiques passe par la recherche de solutions aux équations rappelées en début de billet (cf. retour sur les équations). Quelques hypothèses admissibles vont faciliter cette recherche. Elles concernent l'importance de la perturbation introduite, qui sera supposée faible. Il faut ensuite vérifier que les solutions obtenues maintiennent valides les hypothèses qui les ont permises.

    Mon propos n'est pas ici de faire de longs développements sur le sujet. Il existe de nombreux cours. Celui dont je me suis directement inspiré est un cours de physique des ondes consulté sur le web. Depuis, j'ai également téléchargé les notes de cours du Master de physique appliquée et mécanique de l'Université de Paris Sud. Je veux simplement fixer dans mon esprit quelques éléments de base.

    Un fluide homogène et au repos est caractérisé par : 1) un champ de densités et un champ de pressions tous deux uniformes ; 2) un champ de vitesses nul. Les équations sont alors réécrites en adoptant comme nouvelles variables, à tout instant et en toute position, les écarts aux valeurs des champs avant perturbation. Ces écarts sont notés en faisant précéder le symbole concerné par la lettre delta. Sauf pour les vitesses qui, étant nulles au départ, gardent la même notation.

    Une dynamique de petites variations


    Les hypothèses faites sur les écarts et les vitesses, engendrées par la perturbation, supposent  que ces grandeurs sont et vont rester petites. Plus précisément : 
    • faiblesse des écarts :  les écarts sur les densités et les pressions restent faibles par rapport aux valeurs de la densité et de la pression du fluide non perturbé (valeurs identiques, rappelons le, sur chaque position).
    • faiblesse des vitesses les vitesses correspondant au mouvement  effectif des particules du fluide (vitesse matérielle) restent faibles par rapport à la vitesse de propagation des ondes (vitesse immatérielle).
    Ces hypothèses permettent de négliger -  et donc de faire disparaître - dans les équations sur les écarts, tous les termes du second ordre, c'est-à-dire les termes qui sont le produit d'une petite variation par une petite variation. Après ces éliminations, on obtient pour la dynamique des écarts les équations (eulériennes) suivantes  : 

    Calcul de la vitesse de propagation

    Les équations présentées ci-dessus couplent les trois champs deux à deux : 1) la variation temporelle des écarts de densité avec la variation spatiale de vitesses ;  2) la variation temporelle des vitesses avec la variation spatiale des écarts de pressions , 3) la variation temporelle des écarts de pression avec la variation spatiale des vitesses. Une manipulation mathématique - avec notamment une nouvelle dérivation par rapport au temps - nous conduit à trois nouvelles équations, chacune cette fois propre à chaque champ :



    Ces trois équations ont strictement la même forme. La forme la plus simple pour des équations contrôlant la propagation d'ondes au sein d'un milieu. Leur vitesse de propagation - la même pour les trois champs - est égale à la racine carrée du produit de l'indice isentropique gamma avec le rapport pression/densité du champ non perturbé.


    Plusieurs expressions de cette vitesse se rencontrent dans la littérature. Une des plus fréquentes part du fait que les variations des écarts de pressions et de densités sont couplées par une relation simple de proportionnalité. Laquelle est la réécriture de la loi de Laplace, transposée aux écarts et en tenant compte des hypothèses (de petitesse) adoptées.  Ce couplage, donné ci contre, amène à donner de la vitesse de propagation une expression plus générale, reliée au coefficient de compressibilité isentropique du fluide étudié. 
    Une autre expression utilise l'équation d'état des gaz parfaits, savoir le lien entre le rapport pression/densité  et la température.  Soit donc, avec k constante de Boltzman et m masse individuelle d'une particule du fluide :

     


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